Catherine, paroissienne du Cœur Eucharistique, est enseignante retraitée d’ Arts Plastiques. Elle a bien voulu commenter la toile centrale de notre église paroissiale.
Que savons-nous de l’histoire de cette peinture ?
Cette peinture a été réalisée en 1938 par Pauline Caspers (1865-1946), exécutée sur toile marouflée sur le mur. Elle avait donc alors 73 ans.
Elle a été conçue et composée en épousant l’architecture du lieu. La forme ogivale évoque la partie supérieure de la mandorle du Christ en majesté des tympans de nos églises romanes.
A l’origine, elle surplombait le maître autel placé au fond du chœur.
Que représente-elle ?
Au premier regard nous reconnaissons une représentation de la Cène, moment où le Christ institue l’Eucharistie.
La présence de Judas évoque l’instant où le Christ annonce qu’un des disciples va le trahir.
La lumière diffuse du centre du tableau, du vêtement blanc et lumineux du Christ, éclairant de manière rayonnante l’ensemble de cette scène (s.c.è.n.e.). Nous découvrons un espace clos par des tentures qui évoquent une tente. Il y a là une référence biblique à la tente qui abritait l’Arche d’Alliance, ainsi qu’au tabernacle eucharistique (puisque le mot latin tabernaculum désigne précisément une tente).
L’ombre des pourtours resserre tous les acteurs de ce moment sacré dans une grande intimité. Intimité renforcée par un espace peu profond ; nous ne comptons que cinq plans, très rapprochés :
- 1er plan : les marches, les deux disciples de dos
- 2ème plan : la table, les objets, les disciples sur les côtés
- 3ème plan : le Christ et les disciples assis derrière la table
- 4ème plan : les tentures et Judas
- 5ème plan : l’extérieur, sombre et plat, entraperçu par l’entrebâillement des rideaux de gauche et de droite. Ce plan est peu lisible.
Que dire du premier plan ?
Lorsque nous sommes debout à l’entrée du chœur, nos yeux se situent dans le bas du tableau.
L’artiste a placé à ce niveau la ligne d’horizon, nous situant en dessous, nous invitant ainsi à élever notre regard et notre âme vers le Christ.
Notre être entier est invité à entrer dans le tiers inférieur du tableau par les marches, prolongement des marches du chœur.
Le rétrécissement du tapis matérialise l’élévation des marches, puisque notre situation ne nous laisse voir que les contremarches (la partie verticale).
La couleur rouge des motifs de ce tapis fait immédiatement écho au tissu rouge posé à droite, symbole discret de la Passion ou du lavement des pieds -moment où les disciples apprennent à devenir serviteurs -, écho se prolongeant, à gauche, par la couleur orangée de la jarre posée sur une coupe de pierre évoquant les noces de Cana (Jn 2,1-11).
Sur cette dernière marche, de chaque côté du panneau, deux disciples de trois quarts dos sont agenouillés devant la table et renvoient ainsi à notre propre posture face à l’autel et face à cette scène.
Ces deux disciples amorcent, de part et d’autre, deux courbes formées par les corps, les vêtements et les têtes des onze disciples entourant Jésus. Le corps du Christ devient l’axe d’une composition presque symétrique.
Pouvez-vous nous parler de la représentation des disciples ?
Une telle répartition autour de la table constitue une solution harmonieuse et originale à la difficulté de placer douze convives autour d’une table rectangulaire sans les aligner.
Dans ce tableau de facture très classique, soulignons les qualités picturales de Pauline Caspers pour la représentation de chaque disciple :
- Le soin apporté aux drapés des vêtements dont la gamme colorée évoque tout le cercle chromatique (orange, rouge, pourpre, bleu, violet, vert).
- Le dessin des mains dont les positions de prière sont toutes différentes et étudiées (mains jointes, main sur la poitrine, mains à plat sur la table…)
- Le réalisme des visages de profil ou de trois quarts personnalisés pour chacun, mais avec une même expression de fervente adoration pour tous, éclairés d’une même lumière spirituelle.
A noter trois particularités :
- le portrait d’un jeune homme, de facture différente, peut-être le portrait d’un contemporain de l’artiste ;
- le profil de l’apôtre Jean l’Evangéliste toujours placé près du Christ, qui nous évoque les portraits de la Renaissance, possible citation de l’auteur en référence aux grands peintres de cette période ;
- ses traits caractéristiques et sa place près du Christ permettent d’identifier l’apôtre Pierre.
Tous les visages se détachent sur une auréole orangée, auréole identique qui forme un lien d’unité supplémentaire et permet d’identifier Judas placé à droite au fond, de profil.
Sa silhouette sombre, sans auréole, se fond dans la tenture. De son visage se dégage un sentiment de tourment et de solitude. Il semble se diriger vers l’ouverture pour sortir et aller vers sa trahison, s’excluant ainsi de la scène (et de la Cène). Sa place discrète dans la peinture montre que la trahison n’est pas le sujet traité, l’artiste a centré l’intérêt sur l’Eucharistie.
Par quels moyens Pauline Caspers centre-t-elle son œuvre sur l’Eucharistie ?
La description et l’étude des disciples nous invitent à porter toute notre attention sur cette partie médiane, pour pénétrer ainsi plus profondément dans ce qui se joue ici, à cet instant représenté.
Sur l’horizontalité lumineuse de la nappe blanche sont déposés les objets destinés au repas (verres contenant du vin, coupe, pain, carafe) et un grand calice, symbole d’un autre Repas.
Deux grandes diagonales traversent le panneau. Une, à gauche, débute sur le corps du disciple agenouillé, passe par le verre et les mains de saint Pierre, l’épaule et le haut de la tête de Jésus. Celle de droite suit symétriquement le même parcours : le corps du disciple de droite, le verre et la carafe, le corps incliné de saint Jean, l’épaule du Christ, et elle coupe l’autre diagonale au sommet de la tête du Christ.
A la lecture de ces deux diagonales, un triangle s’impose à nous, dont la base est formée par le bord lumineux de la table. Ce triangle central est le premier point d’orgue de ce panneau.
Dans l’axe du corps du Christ, le grand calice se découpe sur la blancheur de son vêtement. Ce calice est encadré par le pain et la main gauche du Christ qui tient le morceau coupé.
Ces trois éléments sont soulignés par la diagonale du manteau renforçant ainsi le lien qui les unit. C’est le premier temps de l’évocation liturgique :
Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa Passion, Jésus prit du pain, le rompit, le donna à ses disciples en disant : « Prenez et mangez-en tous. Ceci est mon corps livré pour vous. »
Toujours sur cette base, à gauche et à droite, les angles de ce triangle se ferment sur les verres et la carafe placés avec plus de discrétion : évocation de la consécration du vin, deuxième temps liturgique :
De même, à la fin du repas, il prit la coupe, il rendît grâce et la donna à ses disciples en disant : « Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. »
Le sommet de ce triangle relie ces deux temps au visage du Christ nimbé de l’auréole crucifère (qui porte une croix). Visage paisible et serein, au regard doux et profond. Ses yeux levés vers le ciel révèlent un regard très intérieur.
Il est relié ainsi au tiers supérieur (domaine de Dieu). Des rayons et une colombe descendent vers lui, quatre têtes d’angelots et des nuages symbolisant le monde des deux.
Il accomplit devant nos yeux la mission de son Père qui l’a envoyé et ses gestes et ses paroles nous résument toute sa vie : vie donnée, présence dans le sacrement eucharistique au milieu de nous.
Comment l’artiste représente-t-elle le Cœur de Jésus ?
Le deuxième point d’orgue de cette peinture est révélé par la division des tiers verticaux.
Observons les deux verticales visibles et soulignées par les bords de la tenture, les deux plis de la nappe et les deux pieds de la table.
Dans ces tiers extérieurs, dans une zone plus sombre, se répartissent, de part et d’autre, cinq disciples.
Ces deux zones mettent en valeur la zone centrale et plus particulièrement le carré formé par la tenture derrière Jésus. Ce carré incluant le triangle précédemment étudié forme un tableau dans le tableau. Tableau regroupant le Christ et ses deux disciples préférés, Pierre et Jean.
Les diagonales de ce carré se coupent sur le Cœur sacré de Jésus – cœur surmonté d’une flamme, entouré de rayons peu visibles aujourd’hui avec l’assombrissement des couleurs, mais cependant bien présents.
Ce cœur est placé sur la diagonale qui relie la main tenant le pain et la main bénissant, formant avec la diagonale du calice un nouveau petit triangle, lieu de la lumière la plus intense.
Ce triangle est-il le centre même de l’œuvre ?
Le nom de Cœur Eucharistique de Jésus prend ici tout son sens, thème de cette fresque qui l’illustre dans notre église.
Le don que Jésus fait de lui-même dans l’Eucharistie procède de l’amour de son Cœur. Pour le dire autrement, le mystère du Sacré-Cœur du Christ coïncide avec le mystère eucharistique, c’est un unique mystère d’amour par lequel Dieu rejoint l’homme et se l’assimile, le divinise. Dieu fait homme a un cœur, un cœur brûlant d’amour ; cet amour va s’exprimer au plus haut point dans la mort sur la croix, anticipée le soir du Jeudi Saint. Pour nous encore aujourd’hui, l’Eucharistie nous fait entrer dans le Cœur de Jésus. Nous répondons à l’amour de son Cœur par notre amour, nourri et fortifié par l’Eucharistie.