“Au fond, ce parfum des Béatitudes, ce parfum du Royaume, c’est un peu ce que nous ressentons quand nous passons devant une boulangerie. L’odeur du pain frais et des viennoiseries chatouille la narine et donne faim. C’est très agréable, mais aussi très frustrant, du moins tant qu’on ne rentre pas dans la boulangerie. Le tout est de se laisser guider par le parfum et d’y rentrer : c’est encore meilleur quand on mange.
Je sais pourtant bien que le monde est plein de chrétiens inquiets. J’entends le malaise de tous ceux qui disent : je sens bien l’odeur, j’ai déjà pressenti (dans la force d’une parole, dans le sourire de quelqu’un, dans le caractère grandiose d’un paysage) qu’il y avait là quelque chose de grand, mais je ne sais pas comment pour faire entrer ce pressentiment, parfois très fort, dans ma vie réelle. Je me sens au-dehors de la boulangerie : j’ai bien l’odeur, mais je ne mords pas dans la brioche ! Suis-je donc un bon chrétien ? D’autres ont l’air d’y arriver. Tout leur semble facile. Ils parlent de leur intimité avec Dieu comme s’ils avaient bu un verre ensemble une heure plus tôt, et à les entendre, c’est formidable. Suis-je vraiment chrétien si je n’ai que le parfum des Béatitudes, l’envie de vivre ce renversement de vie-là, alors qu’au quotidien, cela ne plane plus du tout à ces hauteurs sublimes, mais ça se traîne comme ça peut ?
Il n’y a pourtant rien à craindre. Cette fringale même, c’est la grâce qui travaille. C’est le signe que le Royaume de Dieu creuse sa place. Le péché, le vrai péché, serait d’abandonner la partie en route, ou encore d’aller chercher ailleurs la satisfaction de ce besoin d’éternité, d’aller la chercher dans ce qui ne peut la donner. La vie chrétienne, c’est d’avoir le courage de ne pas renoncer à la joie ; le courage de rechercher le bonheur, et pas un ersatz, un substitut de bonheur, une tranquillité confortable, une absence de souffrance ou que sais-je encore. Parce que le bonheur est ce que Dieu veut pour nous ; parce que le bonheur est notre vocation.”
Adrien Candiard